Ou va l’argent ? La poutre dans l’œil des pseudo-sciences.

Régulièrement des médecins apportent un vernis scientifique à des rassemblements pseudo-scientifiques organisés. Pourtant, on n’en trouve aucune trace dans la base Transparence-Santé qui recense les liens d’intérêt. Est-ce que c’est normal ? Est-ce que c’est légal ?

Si en science on cherche à savoir, en pseudo-science on cherche à prouver.

Savoir si quelque chose est vrai ou faux est un but en soi, et quoi qu’il arrive, quelque soit la direction donnée par la réponse, cela fera avancer la science. Les pseudo-sciences, elles, n’avancent que dans une seule direction, et pas forcément celle indiquée par les faits. La conclusion est acceptée à priori, les faits ne servant qu’à conforter ce que l’on sait par avance. Mais les faits sont têtus, voilà pourquoi les pseudo-sciences, qui par principe ne peuvent redéfinir leurs conclusions, sont très vite et très souvent amenées à redéfinir leurs faits et le conspirationnisme n’est jamais très loin:

  • Telle étude dit qu’ils ont tort,
  • Par définition ils ne peuvent avoir tort,
  • Donc il faut que l’étude mente, il faut que les chercheurs soient corrompus.

C’est ce qu’on appelle une réponse ad-hoc. C’est un argument légitime par ailleurs, lorsqu’il est étayé par des éléments concrets, qui est balancé à ce moment là du débat dans le seul but de ne pas avoir à admettre une conclusion rationnelle. C’est un argument par ignorance: Je ne sais pas si c’est vrai ou faux, donc c’est vrai.

La question des liens d’intérêt est complexe et inévitable en science. Il est normal qu’une personne soit rémunérée pour faire son travail. C’est un lien d’intérêt (Être payé pour faire du bon travail) qui s’aligne avec un autre lien d’intérêt (Faire avancer la science). Avoir des liens d’intérêt n’est absolument pas condamnable en soi, jusqu’à ce que ces liens entrent en conflit les uns avec les autres (Comme par exemple: « Faire avancer la science » et « Être payé pour ne pas faire du bon travail »). Pour limiter les conflits d’intérêt, il est donc essentiel que tous les liens d’intérêt soient identifiés. En médecine, c’est essentiel et c’est une obligation légale. La base de données publique, Transparence-Santé, rend accessible l’ensemble des informations déclarées par les entreprises sur les liens d’intérêts qu’elles entretiennent avec les acteurs du secteur de la santé. C’est un outil relativement récent, perfectible (Par exemple, quand la totalité du budget d’une convention est attribuée à un seul docteur, des sommes fantaisistes apparaissent et peuvent faire bondir), mais c’est un outil précieux. Il permet de savoir. Les pseudo-sciences, comme à leur habitude, s’en servent pour prouver. Ils font la confusion entre lien d’intérêt et conflit d’intérêt.

Le « J’accuse ! » d’AIMsIB Zola

(Notez le « Jean », et pas « Jean-Marc » sur la colonne de gauche qui indique que cette image ne concerne même pas JM. L., le médecin que l’AIMsIB met en cause)

Pour l’AIMsIB, par exemple, figurer dans cette base est la preuve même qu’il y a conflit d’intérêt. Notez la petite touche conspirationniste après le tableau qui dit en somme: « En plus, on sait que vous ne dites pas tout ». Le médecin de l’AIMsIB ne sait en fait rien concernant ce confrère particulier, et pose un argument d’ignorance.

Ce médecin de l’AIMsIB n’en revient pas de voir le nombre de déclarations de son confrère. Lui, n’est pas particulièrement présent dans cette base de données et c’est particulièrement étonnant. On en revient encore moins. Les différents congrès auxquels il participe ont toutes les apparences de liens d’intérêt. Ne devraient-ils pas être déclarés conformément à la loi ?

Transport, repas, hébergement, cette base de données permet de se rendre compte des sommes engagées. En ce qui concerne les gens qui se soustraient à cette obligation, en revanche, le secret est total. Les conflits d’intérêt s’épanouissent dans le secret, certaines personnes qui ne figurent pas dans cette base ont probablement plus de conflits d’intérêt que ceux qui y figurent.

Agir pour la santé financière

Par exemple, ce médecin de l’AIMsIB a participé au congrès « Mieux vieillir ou rester jeune ? Tous concernés ! » organisé par Agir Pour la Santé Naturelle. Il en a même fait la réclame.

Les congrès Agir Pour la Santé Naturelle, c’est 90 euros par personne pour la journée, 120 euros pour le weekend.

Après s’être acquitté du droit d’entrée, le visiteur pouvait assister à la conférence du médecin de l’AIMsIB sur les bienfaits de l’eau de mer tels que découverts par René Quinton, avant de retourner dans le hall d’exposition ou se trouvait, entre autres, l’entreprise qui détient l’exclusivité de la distribution de la « Thérapie Marine QUINTON » en pharmacies et parapharmacies.

Sur le site web du congrès, on remarque même que le lien ne pointe pas vers le site de l’entreprise en général, mais vers une page dédiée aux produits de la marque Quinton.

Sur le site web du congrès, on peut également se payer l’image du médecin de l’AIMsIB dans sa conférence sur Quinton pour 9 euros.

Un congrès est rarement une entreprise philanthropique. Les enjeux financiers sont tels qu’il est légitime de se demander dans quelles conditions a été négociée la caution scientifique apportée par le médecin. La base Transparence-Santé pourrait y répondre. Elle devrait y répondre. Elle n’y répond pas.

Le conflit d’intérêt, c’est la poutre dans l’œil des pseudo-sciences, et le sophisme naturaliste en est largement responsable. Le naturel, c’est toujours beau, toujours bon, toujours plein de bons sentiments, généreux et positifs. Comment imaginer qu’on puisse vanter le naturel « pour de l’argent » ? Déclarer des liens d’intérêt dans un congrès sur la santé naturelle, mais pourquoi faire ? L’appât du gain, c’est les labos. Non ? Et donc, naturellement, on entend souvent: « Oui mais moi, c’est pas pareil. Moi je ne le fais pas pour l’argent, je le fais pour les ptis enfants. En plus moi je suis pas un méchant labo, moi je suis une gentille association toute mignonne ». Ces personnes ont tort. Ce n’est pas à eux de décider les liens d’intérêt qu’il faut déclarer. Le législateur l’a fait pour eux.

Analogie routière:

– Regardez le conduire, il faudrait lui retirer son permis à ce type.
– Mais vous on vous voit souvent rouler à fond, vous avez pas peur qu’on vous retire le votre ?
– Ça risque pas d’arriver, moi j’ai jamais passé le permis. Pas besoin, je roule naturellement bien.

Chassez le naturel, dans la base Transparence-Santé.

Pour être tout à fait clair: Il est parfaitement possible que ce médecin de l’AIMsIB n’ait réellement aucun lien d’intérêt à déclarer, parce que pour toutes ses participations, par exemple, il fait le trajet sans se faire rembourser aucun frais, il dors peut-être dans sa voiture, mange le jambon-beurre qu’il a préparé avant de partir, etc.

Ce médecin de l’AIMsIB n’est pas cité ici parce qu’il serait une exception, c’est un cas cité en exemple d’une situation qui semble établie: On ne retrouve pas de trace de médecins participant à des rassemblements pseudo-scientifiques organisés dans la base Transparence-Santé. Est-ce problématique que cette information soit absente ? Oui. Penser que les conflits d’intérêt ne peuvent concerner que la science établie est un sophisme. C’est un double standard. Est-ce conforme à la loi ? Vérifions.

Sur le site Transparence-Santé, une note d’information nous explique dans quels cas la déclaration de liens d’intérêt est obligatoire. Il faut d’un coté une entreprise répondant à certaines conditions et de l’autre un membre d’une profession incluse dans la liste fournie.

On peut valider d’emblée le second critère. Si le médecin de l’AIMsIB est bien médecin, alors cette condition est remplie.

Donc, quelles entreprises ont pour obligation de déclarer leurs liens d’intérêt avec un médecin, fût-il de l’AIMsIB ? Pour faire simple, toutes celles qui ont quoi que ce soit à voir avec un produit relevant de la compétence de l’ANSM.

Et elle est compétente sur un paquet de choses en fait.

L’homéopathie, par exemple, est un produit relevant de la compétence de l’ANSM et des labos qui en fabriquent se retrouvent dans la liste des exposants du congrès.

Oui, vous avez bien lu: Des laboratoires pharmaceutiques financent le congrès Agir Pour La Santé Naturelle.

Mais ce n’est pas tout. Les entreprises qui fabriquent ou vendent des huiles essentielles, des plantes médicinales ou tout autre produit a finalité sanitaire sont également soumises à déclaration.

Ces entreprises sont également présentes sur le congrès. En masse.

« Holà ! Minute papillon ! Faut pas tout mélanger. Ces labos, tous ces marchands du temple naturel, ils n’ont engagé aucun médecin, ils n’ont pas non plus organisé ce congrès, que je sache ! » s’exclamera le lecteur aussi sagace que fictif.

Et c’est vrai. Le congrès est organisé par ASN Savoie. Une société commerciale visiblement crée dans le but unique d’organiser le congrès ASN.

Sauf que…

Dans un congrès, l’exposant est une entreprise qui paye un prestataire, l’organisateur du congrès, dans le cadre d’une activité de communication et/ou de vente.

Des entreprises, qui payent un prestataire qui lui va inviter des médecins, c’est aussi prévu par la loi. Il faut le déclarer !

En conclusion:

  • Ces congrès n’apparaissent nulle-part dans la base de données Transparence-Santé.
  • Pourtant, si des entreprises commerciales ayant trait à la santé, même naturelle, s’y trouvent, tous les liens d’intérêt qui s’y déroulent devraient être révélés, de même que sont révélés tous ceux que les partisans des pseudo-sciences adorent pointer du doigt quand ce n’est pas leur nom qui apparait.
  • Dénoncer un manque de transparence, tous en s’autorisant une absence totale de transparence, c’est un double standard flagrant.
  • C’est probablement contraire à la loi.
Bonus: Des liens sans intérêt ?

C’est un argument récurrent dans les pseudo-sciences qu’on dit forcément la vérité lorsqu’on a rien à vendre et qu’on ment forcément lorsqu’on est rémunéré. L’argument est en soi irrationnel, puisque dire la vérité ou mentir est une question distincte de celle de savoir si quelque chose est vrai ou faux, (il est par exemple tout à fait possible d’avoir tort de bonne foi), mais il est également ridiculement hypocrite dans une écrasante majorité des cas.

Ici, par exemple, on nous parle d’un livre qu’on peut acheter, écrit par un membre de l’AIMSiB qui n’a rien à vendre. Dans la même phrase.

(extraits)

Ce membre de l’AIMsIB qui n’a rien a vendre a une liste de livres longue comme le bras long des labos dans la tête d’un conspirationniste. Ils sont tous à vendre.

Quand le tome 4 de la dernière série de livres de ce membre de l’AIMsIB qui n’a rien à vendre est en vente, l’AIMsIB ne perd pas de temps et assure immédiatement sa promotion.

L’AIMsIB, soupçonne tous les chercheurs de la planète de mentir au détriment de la vérité. Pour de l’argent.

Et puis, sans transition, idée cadeau pour Noël: Donnez de l’argent à un membre de l’AIMsIB.

Euh… Oui, mais eux, c’est pas pareil.

Dire « Les autres gagnent de l’argent, ils le font pour l’argent. Nous, nous gagnons de l’argent, nous le faisons pour la vérité », c’est un double standard.

Le public en sait généralement très peu sur la manière dont est rémunéré un scientifique. Le conspirationniste, sans trop y réfléchir, aime probablement imaginer que les labos rédigent des chèques à l’ordre du concessionnaire qui ira directement livrer la nouvelle corvette au domicile du chercheur. En réalité, il arrive très souvent que le chercheur touche un salaire fixe. Que le financement provienne de A ou de B, que l’étude dise oui ou non, la science avance et le scientifique est payé pareil. C’est la définition même d’une absence de lien d’intérêt. Mais pas pour le membre de l’AIMsIB qui n’a rien à vendre sauf ses livres mais lui c’est pas pareil. Pour lui, même quand il n’y a pas de lien d’intérêt il y a encore conflit d’intérêt:

Et oui, regardez en jaune, tous ces labos financent la recherche et c’est honteux, il parait. Selon l’AIMsIB, tous les gens rémunérés par ces entreprises ne peuvent être pris aux sérieux. Les auteurs de cette étude sont salariés. Dans un hôpital. Universitaire. Public. Ils sont payés pareil, quel que soit le résultat. Mais on ne peut pas croire ce que dit cette étude. Il y a conflit d’intérêt. Puisqu’on vous le dit.

Le problème, c’est qu’a force de ratisser large dans la conspiration mondiale généralisée, on finit par attraper les copains aussi, comme cette autre membre de l’AIMsIB, salariée elle aussi de la marque jaune, et donc absolument pas digne de confiance non plus, donc. À cause de ses conflits d’intérêt.

Il faut être cohérent.

« L’argent corromps tout le monde, sauf moi », ce n’est pas cohérent.

« Tous corrompus, sauf les copains », ce n’est pas cohérent.

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